Gustav Schlumberger pour tzar Samuil





SCHLUMBERGER, GUSTAVE (1844—1929)
Célèbre byzantiniste français, qui a laissé environ 200 ouvrages et articles traitant des sujets de l'histoire politique et de la numismatique. L'une de ses monographies les plus connues est „L'épopée byzantine à la fin du Xe siècle", en trois volumes (1896 1900, 1905) dans laquelle il fait revivre avec une verve extraordinaire et une fidélité scrupuleuse, la lutte épique entre l'Empire byzantin et l'Etat bulgare, vers la fin du Xe s. et le début du XIe s. S'inclinant devant le génie politique et militaire de l'empereur Basile II, Schlumberger rend aussi hommage à son digne adversaire, le tsar bulgare Samuel, ainsi qu'aux qualités sans égales de ses chefs militaires.
Nous reproduisons ici deux extraits des chapitres I et VI du IIe volume, retraçant le début et la fin de cette lutte épique.
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"...Toute l'année 990 s'était encore écoulée à liquider les suites dernières des grandes rébellions des deux Bardas, à châtier, à pacifier leurs derniers alliés et partisans. Le basileus Basile, libre du côté de l'Asie, put enfin s'occuper activement à nouveau de la non moins grave question bulgare, de cette guerre cruelle qui menaçait de lui faire perde les thèmes d'Europe, comme ceux d'Anatolie avaient failli lui échapper dans ces dissensions à peine conjurées. Malgré cette rancune séculaire et nationale dont il avait hérité de ses glorieux ancêtres contre ce peuple insoumis, incommode, toujours prêt à reprendre la lutte contre les Grecs, le jeune basileus n'en mena pas moins cette guerre pénible entre toutes avec.une grande prudence et une résolution admirable. D'autre part, la résistance fut aussi héroïque, aussi acharnée que l'attaque fut opiniâtre, patiente, incessante. Il fallut à Basile II vingt-sept années encore de luttes presque ininterrompues, de 991 à 1018, presque toute la fin de son règne si long, pour arriver à terminer cette grande guerre bulgare commencée dès la mort de Jean Tzimiscès, inaugurée véritablement en 986 lors de la déroute de la Porte Trajane, et pour subjuguer définitivement cet immense et sauvage royaume du sauvage Samuel (1).
Ce fut la grande affaire du règne, celle qui procura enfin pour un très long temps le repos à toute la moitié européenne de l'empire en anéantissant entièrement cette monarchie si constamment, si irrémédiablement hostile. Cette sage lenteur ne doit pas nous étonner d'ailleurs, car elle était bien dans le génie byzantin. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire certains des conseils pleins d'une circonspection minutieuse que le grand seigneur grec dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises donnait à ses enfants1.
Cette guerre, célèbre, longue de près d'un tiers de siècle, sanglante entre toutes celles du Moyen âge oriental, qui devait coûter un nombre de vies incalculable, et causer la destruction de plus de la moitié de la nation bulgare, cette guerre qui constitue certainement une des pages les plus brillantes et les plus héroïques de l'histoire byzantine, nous est, hélas, à peine connue dans ses détails. Les documents fournis par Skylitzès, par son copiste Cé-drénus, par Zonaras qui, seuls, à peu près, parmi les annalistes grecs, en ont dit quelques mots (2), sont si peu de chose, tellement maigres et clairsemés, si souvent inexacts et confus, que la simple chronologie de ces événements ne peut même pas encore aujourd'hui être établie avec certitude.
D'autre part, les historiens orientaux, Yahia, Elmacin, Ibn el-Athir, presque toujours très exactement informés pour ce qui concerne l'Asie, le sont, on le comprend, beaucoup moins dans les rares paragraphes qu'ils consacrent à cette guerre européenne si éloignée, complètement hors de portée de leurs moyens d'information habituels.
Il est juste d'ajouter cependant que, si la chronologie de la guerre de Bulgarie présente encore d'innombrables lacunes dont beaucoup, probablement, ne seront jamais comblées, les points de repère principaux sont d'ores et déjà fixés.
La mort du grand tsar Samuel marqua vraiment la fin de l'indépendance bulgare si admirablement personnifiée en lui. Avec ce héros si hardi, si infatigable, périt l'espoir de sa race, et le pied brutal et lourd du basi-leus tout-puissant s'appesantit, dès lors, plus cruellement chaque jour sur la patrie mutilée, privée des talents et de l'ardeur invincible de son plus courageux fils. „Après la mort du tsar Samuel, dit, dans ses souvenirs, l'auteur anonyme du manuscrit que je viens de citer, tous les autres Bulgares durent se rendre au basileus et furent réduits en esclavage, grâce à l'astuce, au courage, à l'énergie d'un homme, le grand Basile Porphyro-génète." Certes il y eut encore des années de résistance et de luttes partielles opiniâtres, des combats héroïques, des dévouements sublimes, mais la grande guerre était finie; l'œuvre de soumission et d'asservissement était véritablement commencée. La Bulgarie indépendante, totalement épuisée d'hommes et de ressources, mena durant quatre années encore, après la mort de son héros, une existence qui ne fut plus qu'une lente agonie. Tout espoir de salut avait vraiment disparu. Nous n'avons pour nous en convaincre qu'à nous en rapporter aux trop rares allusions éparses dans les sources contemporaines. Le parti national, décimé par quarante années de guerre incessante par les sanglantes exécutions des dernières campagnes, luttait encore avec une énergie admirable, contre le terrible basileus de Roum, mais il était devenu trop peu nombreux. L'immense majorité de la nation, lasse de ces interminables horreurs dans lesquelles il semblait qu'on eût toujours vécu épuisée, effroyablement ruinée, portant dans chaque chaumière un deuil cruel,' aspirait de plus en plus à la paix à tout prix, à la paix par l'union avec Byzance. Ce fut sous ces influences que les premières propositions sérieuses de soumission furent, ainsi que nous le verrons, présentées en l'an 1017 au vainqueur..."
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1 Voyez dans Gfrœrer, op. cit.* II, pp. 641 sqq., l'exposé des causes qui rendirent possible cette résistance si prolongée des Bulgares. Ce furent, en première ligne, les sympathies qu'ils inspirèrent aux populations conquises par eux, populations détachées de cceur du régime impérial par l'effroyable dureté de son gouvernement.
2 A. Fr. Gfrœrer, Byzantinische Geschichte, Graz, 1872—1877.
3 Voyez, par exemple, les chapitres 49 et 66 dont le dernier est intitulé : Des constances oh il est nécessaire de s'en tenir à l'égard de l'ennemi au système de la porisation.
4 Psellus n'en parle pas. — Voyez dans Jirecek, op. cit.* le très intéressant cru 1er consacré à la géographie physique de la Bulgarie.
* Il s'agit de Jirecek, Geschichte der Bulgaren, Prague, 1876.

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