Interview avec Ljubco Kurtelov

Dans la Yougoslavie de Tito, on pouvait être tsigane, valaque, turc, albanais, mais bulgare - non


Interview parue dans ©StandartNews, mercredi 22 septembre 2004

Ljubco Kurtelov est libraire. Sa librairie se trouve au centre-ville d'Ohrid (Macédoine) et il répand des connaissances tout comme ses ancêtres les frères Miladinov, nés à Struga, la ville d'à côté. Son arrière-grand-père, Stefan Kurtelov, fut meneur des insurgés d'Ohrid qui ont pris part à l'insurrection d'Ilinden en 1903 et périt dans la célèbre bataille de Rasanec. Depuis quelques années, Ljubco Kurtelov est citoyen bulgare. Ses enfants font leur études supérieures à Sofia. Il a pris part à bon nombre d'expéditions scientifiques consacrées à l'étude de l'héritage historico-culturel bulgare en Macédoine. Il est le créateur de l'association des Bulgares d'Ohrid « Horizons », qui collecte en ce moment des fonds pour l'érection d'une plaque commémorative en l'honneur du capitaine Hristo Beurdarov, officier originaire de Razgrad ayant péri en 1917 près d'Ohrid. Il a été décoré par le Président de la République de Bulgarie Georgi Parvanov, en 2003, de la médaille décernée « pour le centenaire de l'insurrection d'Ilinden-Preobrazenie ».

Virginia Stoyanova : Monsieur, on dit à Ohrid que du temps de la Yougoslavie de Tito, seule votre famille se déclarait comme étant bulgare dans toute la ville. Etait-ce facile d'être bulgare dans la Yougoslavie communiste ? Et de nos jours en Macédoine ?

Ljubco Kurtelov : Ce n'était pas facile. Dans la Yougoslavie de Tito, on pouvait être tsigane, valaque, turc, albanais, mais bulgare - non. L'appartenance à la nation bulgare était criminalisée par la Loi sur l'honneur national macédonien. Il s'agit d'une loi unique dans la pratique mondiale. Selon ses dispositions, si on se déclarait bulgare, on faisait offense à l'honneur national macédonien, et on écopait de 3 à 5 ans de prison. Dans la Macédoine indépendante d'aujourd'hui, cette loi a été abrogée, mais comme l'Etat a été fondé sur la base de la doctrine serbo-kominternienne du macédonisme, être bulgare continue à être préjudiciable – on perd son travail, on est convoqué à des entretiens « informatifs » dans la police (il faut comprendre des interrogatoires intimidants), etc. Mais des milliers de Bulgares d'Ohrid surmontent leur peur peu à peu, ils s'autodéterminent comme des Bulgares, demandent la nationalité bulgare, envoient leur enfants étudier en Bulgarie. Avec les plus courageux d'entre eux, nous avons créé l'association "Horizons".

A présent, l'association "Horizons" collecte des fonds pour une plaque commémorative dédiée au capitaine Hristo Beurdarov, qui sera placée à Razgrad. Qui est cet homme?

Le capitaine Hristo Beurdarov, un natif de Razgrad et chef de la première compagnie du XIXème régiment de Shumen, c'est toute une légende à Ohrid. Du temps de la première guerre mondiale, son régiment défend la ville trois années durant du haut de ses positions sur la mont Mokra. Il a été le favori des habitants de la ville et beaucoup de jeunes filles se sont éprises de lui. Sa mort héroïque, le 19 octobre, a profondément attristé la population. On a composé une chanson qu'on peut encore entendre dans les tavernes d'Ohrid. Beurdarov a été enterré dans la cour de l'Eglise de Struga, et des cierges ont constamment brûlé pendant des dizaines d'années sur sa tombe. Les autorités de la Yougoslavie communiste ont profané sa tombe, tandis que les autorités de la Macédoine « démocratique » ne nous autorisent pas à la restaurer. C'est pour cette raison que nous avons décidé de placer la plaque commémorative dans sa ville natale. Il y sera écrit: "Capitaine Hristo Lazarov Beurdarov 19.12.1891-19.10.1917. Nous nous inclinons devant ton sacrifice pour une Bulgarie libre et indépendante. De la part des habitants d'Ohrid reconnaissants". Je suis persuadé qu'un jour cette inscription sera gravée sur une autre dalle, laquelle sera placée sur la tombe restaurée du capitaine Beurdarov à Struga.

Les Bulgares en Macédoine sont-ils unis ?

Goce Delcev a écrit dans une lettre à son compagnon Malesevski pour lui dire que notre faiblesse héréditaire, à nous autres Bulgares, c'est que nous nous unissons difficilement autour d'une idée commune. Il y a déjà beaucoup d'organisations bulgares en Macédoine. Mais chacune déploie ses activités à sa manière et va son propre chemin. Or, c'est dommage, car les Bulgares en Macédoine, à la condition de s'unir, pourraient devenir une force douée d'une sérieuse influence sur le développement politique, culturel et économique du pays.

Etes-vous satisfait de la politique de la Bulgarie vis-à-vis du problème des Bulgares en Macédoine ?

Je ne dirais pas que je sois particulièrement satisfait. Les gouvernements bulgares n'ont pas de politique envers la Macédoine et plus particulièrement en vue de la défense et de l'aide aux gens qui se sont déclarés bulgares et qui sont désormais des dizaines de milliers. A Sofia, des personnalités politiques à hautes responsabilités me disent que le principal but stratégique de la Bulgarie jusqu'au début de 2007, c'est l'UE. Or, une des conditions posées par l'Union Européenne, c'est qu'il n'y ait pas de différends fondamentaux avec les pays voisins. Tout renforcement des activités de la Bulgarie en Macédoine pourrait soi-disant se transformer en problème fondamental. Mais il y a des choses qui peuvent être faites dès maintenant, et sans que cela génère de problèmes.

Lesquelles par exemple ?

Prenons la question de l'obtention plus facile et rapide de la nationalité bulgare. En ce moment, les déposants des demandes attendent entre 15 et 16 mois. Cela pourrait se faire plus rapidement si au lieu d'octroyer la nationalité bulgare, on réintégrait les personnes dans leur nationalité d'origine. Les pères et grands-pères des jeunes générations en Macédoine ont été citoyens bulgares entre 1941 et 1944. Cette nationalité leur a été enlevée de manière peu démocratique après la restitution de la Macédoine à la Yougoslavie. Nous voudrions que le nombre de bourses pour les étudiants de Macédoine dans des universités bulgares soit augmenté, et qu'ils n'aient pas à verser les frais d'inscription exigés de la part des étudiants étrangers. Il n'est pas logique que la Bulgarie et nous-même affirmions que « Macédonien » est un synonyme de « Bulgare », et que pourtant vous demandiez les mêmes frais d'inscription que pour un Grec ou un Africain. Il est nécessaire que la Bulgarie consacre plus d'efforts à la construction du corridor paneuropéen n° VIII – un chemin de fer et une autoroute. Ce couloir, outre qu'il développera les relations économiques, contribuera au renforcement des contacts proprement humains. Sofia et Skopje se trouvent à 200 kms l'une de l'autre, c'est-à-dire autant qu'entre Sofia et Stara Zagora, mais le voyage est extrêmement pénible. La Bulgarie doit faire tout le nécessaire pour que la radio et la télévision nationales puissent être écoutée et regardée en Macédoine : pour le moment, on ne reçoit que jusqu'à Gjuesevo. De même qu'il faudrait que des journaux bulgares soient vendus ne serait-ce que dans les grandes villes de Macédoine. Rien de ce que je viens d'énumérer ne pourrait susciter de problème fondamental avec le pouvoir à Skopje, qui puisse entraver l'entrée de la Bulgarie dans l'UE.

On dirait que le vrai problème de la Macédoine, c'est le problème albanais...

Pour rester au pouvoir, les politiciens à Skopje sont tombés d'accord avec les terroristes albanais eux-mêmes recyclés à la va-vite en politiciens, afin de partager la Macédoine avec la nouvelle loi sur les communes. Nous autres, nous luttons pour faire échouer cette loi lors d'un référendum qui sera tenu au début du mois de novembre. Mais que nous réussissions ou non, les Albanais occupent tout de même presque à cent pour cent des districts tels que Tetovo, Debar, Gostivar. Les macédonistes n'auront pas su préserver ces anciennes terres bulgares de l'invasion étrangère.

Quel est votre plus grand rêve ?

Une Macédoine libre et indépendante, un Etat pour la population majoritairement bulgare. Je suis persuadé que sinon moi, du moins mes enfants connaîtront ce jour.

Présentation et questions réalisées par Virginia Stoyanova.

Nous remercions Atanas Popov qui a traduit cet article et nous l'a transmis.
Article publié également sur www.balkans.eu.org

Page mise en ligne le 03 octobre 2004



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Origine du document:

http://www.bulgaria-france.net/articles/std_apmk.html


1 commentaire:

Anonyme a dit…

i find this text now.I think that Ljubco is my uncle,so i wish some more informations about him.Please...ASnd sorry for my bad English,i'm from Serbia.kiss